J'ai eue personnellement beaucoup de peine en apprenant cette nouvelle au début du mois. C'est la raison pour laquelle je ne l'ai pas mis en ligne tout de suite. J'avais besoin d'un peu de temps pour la digérer, pour être sereine avec cette idée. Danielle Laberge est une sommitée en herboristerie, et son entreprise faisait vivre plusieurs personne, sans compter toutes les herboristes qui s'approvisionnaient en partie de ses cultures biodynamiques. C'est une grande perte pour nous toutes. Avec beaucoup de peine, je mets enfin en ligne le "testament de l'Armoire aux Herbes".
********************************
Pour la première fois en trente ans, il n'y aura pas de serre
remplie à craquer d'herbes et de fleurs en devenir, pas de merveilleux
jardins à perte de vue, pas de production de plantes médicinales, pas
de transformation en nos excellents produits de santé. C'est avec
beaucoup de peine et le cœur très gros que j'ai dû finalement arriver à
cette conclusion, forcée de le faire par la conjecture actuelle. Ma
chère Armoire aux Herbes écoulera cette année les produits qui nous
restent, bons au moins jusqu'en 2012, puis, elle devra fermer ses
portes. Il est impensable d'engager les frais encourus par une autre
saison agricole, tous ces salaires des jardiniers et transformateurs
animés par l'esprit le plus pur de la tradition herbale, alors qu'il
devient rapidement impossible d'offrir nos produits d'herboristerie aux
clients qui les aiment et les réclament dans les magasins de
produits naturels. Nous vivons depuis dix ans sous les menaces, dans un
climat d'insécurité et dans la nécessité de tout justifier aux yeux de
personnes qui ne connaissent rien de notre réalité. Nous décidons de
retirer de sur nos têtes cette épée de Damoclès qui a miné nos énergies
et brisé nos cœurs. Nous choisissons la paix et la liberté et la
conséquence de choix, c'est le retrait stratégique et volontaire.
Après des efforts notoires de démarches auprès de Santé Canada pour
faire approuver nos produits afin de tenter d'obtenir les
sacro-saints Numéros de Produits Naturels (NPN) imposés, nous avons dû
reculer et nous rendre à l'évidence que nos produits tels qu'ils sont
ne passeraient jamais cette épreuve pharmaceutisante. Nous n'allons pas
nous mettre à faire des teintures dans l'alcool pour satisfaire des
exigences extérieures.
Nous n'avons jamais crû en ce processus de « triage » du
gouvernement, il faut bien le dire. Une des plus grandes faiblesses de
la réglementation des produits de santé naturels vient du fait que les
critères d'évaluation et les normes de preuves exigées pour homologuer
les produits ont été établis par Santé Canada sans aucune distinction
qu'il s'agisse de produits manufacturés par de grandes multinationales
ou par des petites et moyennes herboristeries artisanales dont le rôle
a toujours été d'offrir un large compendium pour bien servir. Nous
avons pressenti dès 2004 que nous (les petites herboristeries
traditionnelles) serions les laissés-pour-compte dans cette histoire.
Nous savons que nos produits sont efficaces, que leur innocuité est
réelle et que si nos clients y sont demeurés fidèles depuis des
décennies,
c'est parce qu'ils fonctionnent. Nous ne devrions pas avoir à réparer
ce qui n'est pas cassé, à changer ce qui réussit. Nous ne devrions pas
avoir à réviser nos formules qui ont fait leurs preuves pour qu'elles
soient copies conformes des formules de quelques herboristes du passé
ayant été sélectionnés pour faire office d'experts, à changer nos
concentrations qui sont parfaitement appropriées, à faire tester chaque
année pour des résidus de produits chimiques, nos produits
d'herboristerie qui proviennent uniquement de notre terre, celle-ci
étant éloignée de toute culture polluante et certifiée biologique et
biodynamique depuis l'avènement au Québec de telles certifications.
Pour nous, la plante médicinale est et devrait demeurer un aliment
et non une drogue. « Que ton aliment soit ton remède ». Il n'y a aucune
différence entre le tonique à l'ail que nous extrayons dans le vinaigre
et l'ail que nous mangeons. Ils ont tous deux une indéniable action
curative, tout comme nos carottes et notre chou. Une véritable
transformation traditionnelle, à échelle humaine, faite dans le respect
de bonnes pratiques de fabrication n'en fait pas pour autant un produit
de laboratoire mais constitue une méthode visant à s'assurer du service
des bonnes plantes pendant les saisons où elles ne sont pas disponibles
dans nos champs et dans nos jardins. Comme la choucroute préserve nos
choux et les pots de salsa nos savoureux légumes d'accompagnement. Nous
ne croyons pas à l'analyse des principes actifs, à la mesure de
quelques
éléments, avec la prétention d'assurer ainsi une constance de
concentration. Chaque année que le ciel nous donne fait pousser des
plantes qui sont quelque peu différentes dans leurs combinaisons
d'éléments et ce, pour de bonnes raisons. La standardisation n'a rien à
voir avec la qualité. Elle n'est que la preuve d'un produit mort, dans
lequel ne coulent plus les sources de la vie qui elle, est d'abord et
avant tout changement.
Pour nous, la qualité de nos plantes, évidente à tous ceux qui au
fil des ans ont visité et sillonné nos jardins, la qualité vibratoire,
malgré le fait qu'elle ne soit pas encore mesurable en laboratoire, a
fait ses preuves. Nous sommes fiers de ce que nous avons accompli,
fiers de ce qui aura été un beau modèle de petite entreprise honnête,
fidèle à ses convictions profondes, heureuse de vous avoir offert nos
jardins en gouttes, en huiles et en tisanes.
Nous avons de la peine pour les thérapeutes habitués à soulager la
souffrance humaine grâce à nos produits et à ceux de nombreuses autres
petites herboristeries. Nous avons de la peine pour les herboristes de
demain qui n'auront pas la chance de vivre cet extraordinaire périple
qui nous a animés pendant trois décennies. Nous avons de la peine pour
les gens qui se verront brimés dans leur liberté de choisir et de juger
par eux-mêmes ce qui leur convient, en consommateurs avertis. Nous
aurions préféré que l'attention de Santé Canada se concentre sur tous
ces dangereux produits de synthèse qui rendent tellement de gens
malades ou dépendants, grugeant leur santé déjà taxée par les exigences
de la vie actuelle, stressante à souhait.
L'automne dernier, j'ai récolté, nettoyé, compté avec amour toutes
les semences qui allaient devenir les jardins 2010. Notre ail a été mis
tendrement en terre. Cet hiver, j'ai fait naître sur papier les
configurations harmonieuses et les compagnonnages qui allaient créer
toute cette beauté, planifié l'utilisation de chaque pouce carré de
serre afin que tout soit prêt pour une autre saison verte, imaginé
chaque engrais vert, chaque semis en succession. Les jardins ont une
fois de plus vu le jour dans mon esprit.
Hélas, je sais maintenant que leur descente dans la matière ne se
fera pas cette année, et plus jamais dans les années à venir. On ne
peut pas prendre d'année sabbatique en agriculture. Rapidement, les
jardins, retourneront à la nature sauvage. Il en restera quelque chose,
une fertilité étonnante, certaines des vivaces qui résisteront à
l'envahissement des adventices, des fleurs qui, du moins les premières
années, pourront se frayer un chemin, des êtres invisibles qui, conviés
avec respect depuis longtemps, préserveront ce qui peut l'être de ce
beau rêve, de ce beau projet dicté non par l'économie mais par une
vision spirituelle. Il faut croire que l'heure qui fut n'est plus et
qu'elle ne sera plus pour un temps.
Je me rends bien compte que la vision sociale actuelle et celle que
je porte ici ne vont pas dans la même direction. Je vois l'intuition
comme source de connaissance pour l'avenir. L'intuition et la pensée
vivante ainsi que l'évolution de tous nos sens vers la subtilité. La
société voit de plus en plus la science comme seule source de vérité,
l'analyse laborantine comme seule preuve acceptable de qualité ou
d'innocuité et la consommation comme la source du bonheur.
La tenue de dossiers et la somme incommensurable de toutes sortes de
documents minutieux et pointus n'améliorent en rien la qualité d'un
produit de plante. L'établissement d'une telle panoplie de procédures
ne fait que nous distraire de notre véritable travail. Nous sommes des
artisans du végétal vivant. Pas des employés d'une manufacture de
produits de plantes. L'amélioration d'un remède à base de plantes ne se
produit que lorsque le travail manuel de la terre et le fait d'œuvrer
concrètement à la vitalisation de cette dernière permet d'élever des
plantes de plus en plus vibrantes et saines. Il n'est pas normal de
devoir, dans une herboristerie, sacrifier des jardiniers pour payer des
pousseux de crayons ou de touches d'ordi dont le rôle est de satisfaire
l'obsession gouvernementale. Je lisais dernièrement ceci : « L'émission
d'une
licence de mise en marché signifie que le produit a été examiné par
Santé Canada et qu'il est sûr, efficace et de haute qualité sous ses
conditions d'utilisations recommandées. »
Quelle illusion ! Quelle délusion ! Bien sûr, lorsque la
responsabilité d'évaluer et d'homologuer l'efficacité, l'innocuité et
la qualité des produits est dispensée à des gens pour qui toutes les
plantes se valent, qui n'admettent pas la valeur ajoutée d'un produit
biologique, qui nous avouent n'avoir jamais entendu parler de la
biodynamie, pour nous, la marche est haute pour faire valoir notre
position et nos priorités.
Ce n'est pas notre mission d'aller dans cette direction. Nous sommes
un art du terroir, pas un sous-produit de compagnies pharmaceutiques
qui essaient de s'adapter à la vision arhimanique pour être accepté par
le système et recevoir l'alléchante permission de pouvoir se
vendre légalement. Nous n'avons besoin de la permission de personne
pour bien faire notre ouvrage d'herboristes. De toutes manières, ce
n'est pas le gouvernement qui sait ce que cela veut dire, ne comprenant
rien à notre réalité qui ne les passionne pas. Sinon, ils seraient avec
nous dans le champ.
Je crois qu'en dehors de la vitalisation de la terre, seule la joie
du travail bien fait, la saine ambiance de travail où chacun se sent
valorisé et la conscience d'œuvrer à la guérison peut ajouter quelque
chose à la qualité du produit de plante. Nous sommes vibrations en
contact avec les vibrations cosmiques. Nous ne sommes pas des objets en
train d'en manipuler d'autres. Il y a bien davantage à l'œuvre que des
formules chimiques et des données mathématiques. Nous assurons le sauf
conduit de formes de vie dans un avenir qui, au fond, fait tout pour
rendre l'existence impossible à ses meilleurs apôtres.
J'ai toujours dit que je n'étais pas venue sur la terre pour faire
des produits à base de plantes, que ce n'était qu'une excuse pour faire
circuler la vie. Ce ne sont pas des gouttes plus ou moins concentrées
de substance que j'ai offertes à L'Armoire aux Herbes, mais des jardins
biodynamiques en bouteilles, une qualité vibratoire guérissante, une
vision de demain, un espoir et une certitude de pérennité. Depuis 30
ans, je ne compte plus les gouttes de jardins qui se sont déversées au
quatre coins de la province. Les personnes qui nous cherchaient nous
trouvaient. Ma seule consolation est d'avoir fait école et que
d'autres, maintenant, comprennent l'importance de demeurer fidèle à
l'engagement envers la vie.
Peut-être est-ce le temps pour moi de diffuser l‘esprit sans qu'une
somme phénoménale de mon énergie aille au support de la matière? Je ne
sais pas. Ce que je sais, c'est que j'ai eu la chance immense de vivre
sur une terre fertile et hautement spirituelle qui continuera encore
longtemps à offrir ses services subtils et à soigner par la conscience.
Je ne suis pas attachée au revenu généré par la vente en magasin. Ma
motivation n'est pas pécuniaire, ne l'a jamais été. J'ai apprécié les
sous générés par ce moment de liberté où nous avons pu offrir le bon
sans avoir à prouver autrement que par les résultats obtenus. Il a
permis de redonner encore et encore à cette terre d'accueil que nous
travaillons sans relâche. Il nous a permis d'inviter une immense
variété de plantes, produisant un
écosystème heureux et vibrant de santé. Il nous a permis d'avoir la
liberté d'offrir des connaissances sans dépendre totalement des
retombées financières pour le faire. Il nous a permis de ne pas acheter
pour revendre mais de produire en biodynamie, sans jamais négliger
l'effort à fournir. Il nous a permis de donner sans compter. Je ne
regretterai jamais cela. Même si, finalement, c'est la réalité
financière qui force le retrait de cette herboristerie qui a toujours
tenté, dans la mesure du possible, de bien payer ses employés, de ne
jamais sacrifier la qualité pour la quantité, ni faire des coins ronds.
J'ai toujours vu L'Armoire aux Herbes comme un dispensaire, un vrai,
au service de l'humain qui ne peut pas se permettre de payer plus cher
pour supporter des laboratoires, des formulaires et des tonnes de
papier à noircir. Je préfèrerai toujours noircir la terre en lui
ajoutant du bon compost que de noircir du papier. Faudra-t-il attendre
l'écroulement du système et l'état d'urgence pour que renaisse le
respect des petites herboristeries qui, malgré le fait qu'elles ne
peuvent pas se payer le luxe de l'approbation aliénante d'un système à
la courte vision et aux valeurs décentrées, ne devraient pas pour
autant constituer des hors-la-loi à contraindre et à assassiner?
Non, je ne vendrai pas à rabais toutes les vivaces qui sont ici. Je
respecte trop la terre pour lui arracher ses enfants par les racines
pour des raisons économiques. J'ai toujours partagé généreusement mes
amies les plantes. De nombreux jardins du Québec sont les rejetons de
cette florissante Armoire aux Herbes. Je continuerai à être la
gardienne dévouée de cette terre que j'aime tant.
J'aurai beaucoup de peine quand, ayant trouvé pour elles des
personnes aimantes et accueillantes, mes juments devront me quitter car
je n'aurai plus les moyens de les nourrir, ni d'usage pour leur fumier,
source animale de tous nos composts.
J'aurai beaucoup de peine quand on démantèlera la grande serre, afin
qu'elle puisse continuer de servir ailleurs, le grand séchoir qui nous
a aidé à créer les plus belles tisanes au monde, ceci dit sans le
moindre orgueil.
Sachez que je ne suis pas inquiète de ma survie personnelle. On a
besoin de peu quand on avance en âge. Ma richesse dans cette vie, ce
fut d'avoir vécu pleinement mon rêve, d'avoir généré de tels jardins et
d'avoir pu promouvoir, avec leur assistance, beauté, santé et vie de
l'âme. Toutes mes économies y sont passées. Et Dieu sait que je ne
regretterai jamais d'avoir fait ce choix. C'est ce qui a justifié tout
mon enseignement et mes plus belles découvertes.
Il me reste à me mettre totalement d'accord avec ma destinée de
maintenant, soit ce retrait et cette imminente fermeture, à cause d'un
système politico-social qui manque de vision et de profondeur. Mais
c'est là où nous sommes, n'est-ce pas? Il paraît qu'on a les décideurs
qu'on mérite. Cette épreuve deviendra-t-elle une motivation de plus
pour continuer de partager la connaissance, la vision d'un avenir où le
vivant retrouvera sa vraie place, à la source de nos choix et de nos
vies?
Je me mettrai d'accord avec ce qui se passe. Je ne serai pas une
victime. J'y découvrirai ma prochaine étape. Je ne serai pas une « Has
been ». Je ferai confiance aux forces spirituelles qui m'ont guidée
tout du long et qui savent ce qui est espéré pour cette nouvelle phase
de ma vie. Je ne me révolterai pas, je ne me fermerai pas comme une
huitre. Je continuerai à supporter les causes qui me sont chères.
J'aiderai de mon mieux mes proches et les gens de mon milieu. Et je
jardinerai à mon échelle : je ne saurais imaginer ma vie sans un
potager, sans quelques îlots dans lesquels j'intègrerai mes plus
essentielles alliées. Je demeurerai jusqu'à mon dernier souffle une
ardente amoureuse du règne végétal.
Je suis une poupée russe vivante. Je me relève vite et résolument
quand on me fait tomber. Je suis aussitôt prête à aller encore plus
profondément contacter mon essence pour comprendre et continuer à
remplir la mission qui justifie ma présence sur cette terre.
En janvier, j'ai connu l'ablation de ma vésicule biliaire qui
s'affaissait et devenait dangereuse de par la présence d'une quantité
excessive de pierres. La souffrance précédant l'opération fut extrême.
Mon corps en est à réapprendre à fonctionner hors de ses sentiers
battus, à emprunter d'autres voies, à s'habituer à l'absence d'un
organe, à se rebâtir une nouvelle façon de fonctionner. Vous
comprendrez que je ne puisse m'empêcher d'y voir là la symbolique de ce
que vit notre société.
On peut couper l'élan à une herboristerie traditionnelle. On peut
l'empêcher de vendre ses produits. Mais on ne peut pas démolir une
herboriste de souche, une biodynamicienne de cœur, une femme de la
terre et une guérisseuse, même si on lui retire le droit d'offrir ses
plus beaux fruits.
Je veux remercier ici, de tout mon cœur, toutes les belles personnes
qui se sont données sans compter pour que vive L'Armoire aux Herbes:
les fournisseurs, les distributeurs, les employés, les jardiniers, les
stagiaires, les amis et les fidèles clients, l'Herbothèque et ses
étudiants. Et plus particulièrement ma sœur Hélène et mon neveu
Frédéric, qui vivent ce deuil de très près avec moi et dont l'amour et
le désintéressement adoucissent les jours qui nous restent.
Si vous désirez vous procurer les derniers produits de L'Armoire aux
Herbes, faites vite. Ils seront disponibles encore un temps dans
certains magasins. Vous pourrez aussi nous les commander directement
jusqu'à écoulement des stocks par téléphone, fax ou sur notre site
web armoireauxherbes.com
Profitez-en pour aller voir les photos, lire les textes, vous
nourrir à cette source qui d'ici la fin de l'année en cours, se tarira
ou prendra une autre forme.
Merci d'être là et de croire en une herboristerie qui va au-delà du
commerce. Une herboristerie qui a de longues racines et qui, malgré les
extrêmes du climat actuel, survivra et fleurira encore et toujours,
quelle qu'en soit la forme.
Je vous salue bien bas et vous tire ma révérence
Danièle Laberge
Herboriste traditionnelle
Maman de la bientôt feue Armoire aux Herbes
Vous avez tous et toutes, la permission explicite de l'auteure de ce
texte, de le reproduire textuellement et de l'envoyer à tous vos amis
et connaissances ainsi qu'à tous les médias de votre choix.